Baltimore, la renaissance de « Charm City »

Baltimore, la maritime, renaît grâce notamment à ses quartiers historiques ouvriers où la brique rouge omniprésente rappelle le charme industriel des grandes sœurs britanniques.

Baltimore…? C'est où, d'abord? Au pays de Marie! Le Maryland, quoi. Une ancienne poche catholique parmi les 13 premières colonies protestantes de la côte Est américaine. Mais plus précisément? Baltimore, c’est entre Philadelphie et Washington.

À l'ombre de ces deux grosses pointures de la façade atlantique américaine et après une descente aux enfers dans l’après-guerre, Baltimore, la méconnue, vit une renaissance urbaine étonnante et joue des coudes pour mieux se faire connaître.

Baltimore est d’ailleurs d’emblée attachante, au fil de ses ravissants petits quartiers historiques de maisons ouvrières, au bord de l'eau, accessibles par une ligne de bâteaux-taxis. La ligne parcourt le pourtour de la baie de Baltimore par sauts de puces successifs et offre un pur plaisir, par beau temps : contempler d’imposants entrepôts en brique posés sur l’eau, débarquer, parcourir à pied des rues étroites, pavées et bordées de rangées de maisons de briques rouge, puis réembarquer jusqu’au prochain quartier.

Ailleurs, dans la haute ville, d'imposantes demeures cossues et autres institutions culturelles néo-classiques rappellent les fastes passés de la ville - sans parler évidemment des grandes universités de cette ville très étudiante, dont la Johns Hopkins, à voir pour son musée des beaux-arts, dont un penseur de Rodin.

Le charme de Baltimore c’est aussi l’ambiance d’une ville moyenne, où les gens sont encore avenants et souriants – pour goûter à cette vie, certains habitants font la navette pour aller travailler à Washington, à 50 minutes en train. Taille moyenne implique aussi que les différents quartiers sont relativement proches les uns des autres (le tour de la baie peut se parcourir à pied ou l’idéal, à bicyclette – malgré leur interdiction regrettable sur les bâteaux-taxis).

Et puis, par dessus tout, Baltimore fleure bon l’océan et ses parfums maritimes, qui se retrouvent dans les assiettes de fruits de mer et les fameux «Crab Cakes» (beignets de crabe). Située à 150 kilomètres à l'intérieur des terres, Baltimore est lovée au fond d’un coude (la «Inner Bay»), tout au bout d'un long bras de mer intérieure. La ville a grandi tout autour de cette baie Chesapeake (un nom dérivé de l’Algonquin et signifiant «la grande baie aux coquillages»).

Grandeur passée
Le passé glorieux de Baltimore remonte aux sources des États-Unis. Dès 1830, Baltimore arrive derrière New York, au deuxième rang des plus grosses villes des Etats-Unis. Plaque tournante maritime, porte vers l’Ouest (une ligne de chemin de fer vers l’Ohio ouvre en 1828), réputée pour ses chantiers navals et forte de diverses industries de transformation, puis principale centre d’accueil des immigrants après Ellis Island, la ville prospère jusqu'à l'après-guerre.

La ville connaît alors un déclin économique et l’exode des classes moyennes vers les banlieues, laissant pauvreté et crime au centre qui implose. (De nos jours, les principales activités économiques sont les universités, dont la santé et les sciences de la vie, suivi des services de sécurité, des télécommunications et du secteur bancaire.) Depuis 1971, un projet de développement de la baie intérieure (Harbourplace) semble aujourd'hui porter ses fruits.

Renouveau?
D'ailleurs, les autorités répètent à qui veut l'entendre que l'hémorragie démographique semble endiguée, voire inversée. En 2006, pour la première fois en 50 ans, cette ville moyenne de 641 000 habitants (2,5 millions pour la grande région métropolitaine) a grossi, de… 897 nouvelles âmes, après avoir approché le million de personnes en 1950. Le centre des congrès s’agrandit et sera relié à un hôtel Hilton qui ouvrira en août prochain.

Il faut toutefois reconnaître que la misère reste toujours visible, dès que l’on s’éloigne de part et d’autre du centre et du pourtour de la baie. Des rues entières de charmantes petites maisons sont abandonnées, les fenêtres plaquées de bois. Lorsque des pâtés de maisons entiers ne sont pas (tristement) rasés pour agrandir l’université Johns Hopkins. La profonde pauvreté d’hier persiste donc, simplement repoussée loin de l’œil des touristes, alors que les petits quartiers de la baie, autrefois ouvriers, s’embourgeoisent à vue d’œil. La profonde fracture sociale américaine est une fois de plus flagrante…

Fell’s Point
Le plus beau joyau du collier de quartiers historiques qui entourent la baie était le plus malfamé aux balbutiements de Baltimore: Fell’s Point, un village portuaire du XIXe siècle qui a survécu au cœur de la ville aujourd’hui.

Ancien port en eau profonde à l’origine et situé à l’Est, à l’extérieur de la ville, Fell’s Point est célèbre à l’époque pour ses bars et ses hôtels de passe pour les marins en escale. Le quartier a failli être rasé dans les années 60 pour faire place à une autoroute. La mobilisation des habitants a fait échouer le projet. Beaucoup de maisons vendues à 1 dollar pour attirer de nouveau « pionniers » ont été fidèlement restaurées. Les rues pavées donnent à ce quartier un parfum très européen.

La grande ferme installée sur une pointe de terre par William Fell en 1730 deviendra l’un des trois villages qui finiront par former Baltimore en 1797. Le chantier naval du père Fell, non loin, attire les travailleurs. Son fils Edouard aménage les rues du futur village en 1763, avec des noms inspirés de leurs racines britanniques, qui persistent aujourd’hui : Thames, Shakespeare. Sans oublier la rue Fell.
La fin de semaine, les étudiants à la fête donnent un aperçu de l’ambiance d’antan, lorsque les fabriques de cordage, de voiles et autres entrepôts de bois fourmillaient d’activité.

Patrimoine historique
Aujourd’hui, restaurants, cafés et bureaux ont pignon sur rue, entourés de maisons résidentielles. Certains entrepôts des quais ont été convertis en lofts ou en bureaux. Une petite marina à bateaux de plaisance rappelle que l’océan n’est pas loin. Au cœur du quartier, la grande place du marché couvert Broadway demeure un rendez-vous quotidien des habitants, où l’on peut facilement se trouver de quoi manger sur le pouce.

Non loin, le bureau de la Fell’s Point Preservation Society, propose documentation et même visites guidées. En face, l’imposant Recreation Pier complète le tableau historique. Ce grand édifice de briques affichant une grande arche en façade avance dans l’eau, sur pilotis. Il abritait à l’étage une salle de bal, aujourd’hui fermée.

L’édifice attire la convoitise des promoteurs immobiliers, qui ont déjà engloutis d’anciens entrepôts pour construire des complexes modernes sur la frange Est, vers la ville. (Le quartier Harbour East, un quartier neuf de restaurants, magasins, appartements et hôtels, qui fait le lien avec les quais réaménagés au bas du centre-ville.)

Les goélettes de Baltimore
Les chantiers navals de Fell’s Point ont disparus eux aussi, il y a bien longtemps, après avoir rendu la ville célèbre, grâce à ses goélettes. Les Baltimore Clippers, de rapides navires permettant aux Corsaires de harceler la marine britannique pendant la guerre de 1812. Les Anglais tenteront d’ailleurs de réduire en cendres ce repère de gredins après avoir brûlé Washington, sans succès toutefois.

L’arrivée des bateaux à vapeur changera tout ce petit monde, fermeture des chantiers et déplacement du port en aval. Les conserveries prendront le relais : les huîtres de la baie et autres pêches et tomates notamment cultivées sur les terres fertiles environnantes. Les navires eux assuraient le commerce du tabac et exportaient de la farine vers les Antilles et l’Europe. L’afflux d’immigrants entretiendra aussi la vie de Fell’s Point – près de 40 000 immigrants par an et 700 000 en tout après la guerre civile.

Canton
Fell’s Point débordera vers l’Est, dans un nouveau parc industriel : Canton
(du nom de la ville chinoise, un souvenir de marin). Ce dernier arrêt le plus à l’Est de la ligne de bâteaux-taxis vaudra le détour. Bien moins commercial et moins «gentrifié», il abrite d’autres ravissantes rangées de maison de briques jumelées, collées serrées les unes contre les autres et admirablement restaurées.

L’occasion aussi de monter sur les hauteurs de Canton, dans le parc Patterson, pour embrasser une bonne partie de la ville d’un coup d’œil et admirer les coupoles dorées de l’église catholique ukrainienne St. Michael non loin, presque surréelle d’exotisme.
Revenir à pied vers Fell’s Point permet d’emprunter une succession de promenades en bois, qui serpentent entre marinas, anciens entrepôts reconvertis en logements et nouveaux complexes de maisons de ville très réussis.

Ou bien, reprendre reprendre le bâteau-taxi à Canton vers Harbourplace, la baie intérieure réhabilitée, très commerciale et grand public, mais suffisamment aérée pour que par jour de grand soleil, des amuseurs de rues s’installent et divertissent les badauds assis sur de grandes marches. Un passage au sommet du World Trade Centre où le dernier étage panoramique offre une vue imprenable, un arrêt au Centre des visiteurs et cap vers Federal Hill, le troisième petit quartier historique à ne pas manquer.

Federal Hill
Federal Hill est à 10 minutes à pied au Sud de Harbourplace. Autre quartier ouvrier à l’époque, il regroupe une vingtaine de petits pâtés de maisons du XVIIIe et du XIXe.

Quartier très résidentiel, ses deux principales rues commerçantes, rue Light et rue Charles (la «Main» de Baltimore) regorgent de petits restaurants, cafés et autres commerces de proximité. C’est ici que l’on pourra d’ailleurs louer un vélo dans un magasin-coop, le Light Street Cycle. A mentionner un autre petit marché couvert, le marché Cross Street, avec notamment un bar à fruits de mer extrêmement animé, couleur locale du vrai Baltimore garantie.

Le quartier doit son nom au parc qui trône au sommet d’une colline qui domine la baie (et point stratégique pendant la guerre civile). Depuis le parc, en contrebas, des sculptures colorées accrocheront l’œil, au pied d’un autre entrepôt de briques rouges : le American Visionary Arts Museum, une traduction déroutante de l’art brut dans le sillage de l’artiste français Dubuffet. Ce musée qui accueille les œuvres d’artistes amateurs, toutes aussi inattendues que farfelues les unes que les autres, vaut le détour.

La haute-ville
Le Baltimore plus traditionnel pourra se visiter lors d’une autre journée par une expédition en haute ville. Remonter la rue principale, la rue Charles, mènera au Mont Vernon, l’ancien quartier chic. Au sommet se dresse le premier monument Washington de toute l’Amérique : au centre d’une place, une immense colonne où trône la statue du grand homme (en compagnie en contrebas d’une statue de Lafayette à cheval).

Aux abords du monument sur cette place arrondie la bibliothèque Peabody mérite une visite, pour sa grande salle sur multiples étages ressemblant à une maison de poupée. En face, la charmante église gothique méthodiste datant de 1872 rappelle les racines anciennes de la ville. Autre lieu de culte, plus bas sur la rue Charles se dresse la toute première cathédrale américaine, la basilique de Baltimore.

Hampden
Un dernier quartier à ne pas manquer sera Hampden, plus au Nord de la ville, très bohême et branché avec des accents de station balnéaire (facilement rejoint en prenant le Light Train, où l’on peut embarquer sa bicyclette.)

Au cœur de ce quartier d’artistes, en cours de «gentrification», un bout de la 36e rue (surnommée «The Avenue») rassemble un mélange hétéroclite de magasins de proximités, de cafés et petits restos, et dans sa partie plus large, en marge des voitures garées en épis, diverses boutiques multicolores dans des maisons victoriennes, débordant depuis leurs porches.

Baltimore à vélo
Depuis Hampden, disposer d’une bicyclette permettra de redescendre en ville en traversant le campus très verdoyant de l’université Johns Hopkins (en s’arrêtant au Baltimore Museum of Art).

Un crochet par le Charles Village permettra d’admirer des rues entières de maisons victoriennes aux porches multicolores. Mais gare à ne pas pousser un peu trop à l’Est, car les quartiers aux maisons abandonnés ne sont pas très loin…

De retour au bas de la ville, Fell’s Point et son intimité maritime et historique agira comme un aimant, où vos pas, comme les miens lors de mon séjour, vous ramèneront irrésistiblement, pour retrouver ces pavés, ces maisons à dimension humaine, cette petite vie de village aux accents industriels, baigné par le clapot de la baie, au cœur de la ville, surnommée autrefois «Charm City».


Infos pratiques

. Baltimore Visitor Center, 401 Light St., 1-877-BALTIMORE, www.baltimore.org et www.visitmybaltimore.com.
. Live Baltimore, www.livebaltimore.com, association offrant divers renseignements sur les différents quartiers et la vie à Baltimore pour les habitants.
. Fell's Point Visitor Center, 1732 Thames Street, 410-675-6751, www.preservationsociety.com.
. Fell’s Point (site communautaire avec photos, commerces, etc.) : www.fellspoint.us.
. Canton (site communautaire) : www.cantoncommunity.org.
. Federal Hill : www.historicfederalhill.org.
. Hampden Village Merchants Association : www.hampdenmerchants.com.
. Bateau-Taxi : les WaterTaxi bleu et blanc ne coûtent que 8 $ pour toute la journée (trajets illimités), 410-563-3901, www.thewatertaxi.com
. Location de vélo : Light Street Cycle, 1015 Light St, (410) 685-2234, www.lightstcycles.com (25 $ la journée)
. Guide Baltimore à pied : aucun des grands guides n’a d’édition pour Baltimore uniquement. Un guide produit localement est excellent (en anglais) proposant 12 visites des principaux quartiers ; Walking in Baltimore, Frank R. Shivers Jr., Johns Hopkins University Press. Disponible au Barnes&Nobles de Harbouplace, aménagé dans l’ancienne centrale thermique du port, autre site historique industriel étonnant.

Se loger :
. Admiral Fell Inn : hôtel boutique au cœur de Fell’s Point (coin place du marché Broadway/ Thames) dans un édifice historique (ancien hôtel de charité du YMCA puis fabrique de cidre), 888 S Broadway 410-522-7380 ou 1-866-583-4162, www.admiralfell.com.
. Henderson’s Wharf : plus cossu, un hôtel boutique style loft, dans un ancien entrepôt ; certaines chambres donnent sur une grande promenade en bois au bord de l’eau (on se croirait presque au chalet !), 1000 Fell St., 1-800-522-2088 www.hendersonswharf.com/inn.
. Marriot Baltimore Waterfront : récemment construit au bord de l’eau (Inner Harbour East), superbe intérieur néoclassique, offre une très belle vue (31 étages) sur la baie environnante, à mi-chemin entre Harbourplace et Fell’s Point ; dispose d’un arrêt du Water-Taxi, 700 Aliceanna St., 410-385-3000 ou 1-800-228-9290, www.marriott.com.
. Couettes et café : divers B&B sont disponibles à Fell’s Point et Federal Hill notamment (voir les sites des quartiers).

À voir :
. National Aquarium (Harbourplace), 501 E Pratt St., (410) 576-3800, www.aqua.org.
. World Trade Centre, Top of the World, étage panoramique (27e étage), 401 E. Pratt St., 410-837-8439, www.baltimore.to/TopOfWorld.
. American Visionary Arts Museum, 800 Key Hwy, 410-244-1900, www.avam.org.. Baltimore Museum of Art, artbma.org, 10 Art Museum Dr, 443-573-1700.
. B&O Railroad Museum, 901 W Pratt St., (410) 752-4287, www.borail.org,. George Peabody Library, 17 E Mount Vernon Pl., (410) 659-8179, www.georgepeabodylibrary.jhu.edu.
. Great Blacks In Wax Museum, un musée de cire des grands hommes noirs, un rappel que Baltimore était au confluent du Nord et du Sud pendant la guerre civile ; à noter que Frederick Douglass, militant anti-esclavagisme, a grandi à Baltimore, 1601 E North Ave # 3, 410-563-3404, www.ngbiwm.com.
. Film «Pecker» (1998) se déroulant à Hampden, de John Waters, réalisateur de Baltimore.

Sortir :
. McCormick&Schmick’s (Inner Harbour) : excellent restaurant de fruits de mer style brasserie, cadre intime (recommandé de réserver. Note : le bar du restaurant sert tous les plats sur la carte), 711 Eastern Ave, 410-23-0180, www.mccormickandschmicks.com.
. Philipps (Harbourplace), restaurant de fruits de mer avec buffet à volonté et petit kiosque pour emporter, 301 Light St., 410-685-6600, www.phillipsseafood.com.
. Red Star Bar & Grill, bar-restaurant à l’extrémité de Fell’s Point, aménagé dans un ancien entrepôt superbement restauré, clientèle locale, (tire son nom d’une légende voulant que les lanternes rouge étant interdites pour identifier les hôtels de passes, des étoiles rouge étaient dessinées sur le trottoir pour guider les marins…), 906 S. Wolfe St, 410-675-0212, www.redstarrestaurant.net.
. Cat's Eye Pub (Fell’s Point) : ouvert depuis plus de 30 ans, un classique, très local, intime et ambiance surchauffée garantie, clientèle locale de réguliers; groupes de musique, 1730 Thames St. www.catseyepub.com.
. Golden West Café (Hampden), clientèle très bohème locale, typique de Hampden, notamment connu pour ses brunchs d’inspiration mexicaine, 105 W. 36th Street, 410-889-8891, www.goldenwestcafe.com.
. Brewer’s Art (Mount Vernon), brasserie-restaurant dans une maison résidentielle, foule éclectique à l’étage et très étudiante au sous-sol, 1106 N. Charles St., 410-547-6925, www.belgianbeer.com.
. Baltimore Restaurant Week, www.baltimorerestaurantweek.com (dernière semaine de Juillet, prix fixes midi 20 $, soir 30 $).